Les échos & le fil Vendange traditionnelle (circa 2022) © archives Yann Kerveno

Published on 27 mars 2024 |

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Nouvelles frontières pour voyage risqué

Dans ce fil du mercredi 27 mars 2024, vous apprendrez qu’il n’y a pas que le vignoble qui risque de changer de place à cause du changement climatique et les gagnants de demain ne seront peut être pas ceux d’après-demain. Bref, rien n’est jamais simple mais bienvenue dans l’ère de la “climate driven agriculture frontier”.

Une nouvelle étude, largement reprise dans les médias cette semaine, dresse une cartographie nouvelle du vignoble mondial à l’aune des conséquences du changement climatique. L’affaire est fortement relayée car c’est une prospective frappante, peut-être même plus simple à comprendre, plus tangible, que de parler de trois ou quatre degrés de plus dans la touffeur des villes. D’ailleurs, sous nos latitudes, la problématique n’est déjà plus un concept mais une réalité bien tangible pour la vigne qui débourre plus tôt, est exposée aux gels dévastateurs de printemps, subit les assauts de la grêle sous les orages ou les formidables coups de boutoir de la chaleur comme en 2019 dans le Languedoc, où la barre des 40° allègrement franchie avait brûlé feuilles et raisins. Même en Suisse les vignerons cherchent à s’adapter et réfléchissent à planter plus haut, hypothèse également au cœur de la relance du cru banyuls.

Changement climatique : cultiver la vigne ailleurs

Bref, l’image circule depuis longtemps. On fera bientôt du bordeaux à Saint-Brieuc, du champagne à Glasgow et du Fino dans le Gers. Olé. « Environ 90 % des régions viticoles traditionnelles des régions côtières et de plaine d’Espagne, d’Italie, de Grèce et du sud de la Californie risquent de disparaître d’ici la fin du siècle en raison d’une sécheresse excessive et de vagues de chaleur plus fréquentes dues au changement climatique » écrivent les chercheurs sous la houlette de Cornelius Van Leeuwen, estimant qu’à long terme, pour ces régions, les adaptations (matériel végétal, conduite de la vigne, irrigation) ne suffiront probablement pas. D’autres zones pourraient par contre gagner en aptitude à produire du vin, du nord de la France à l’État de Washington ou l’Oregon aux États-Unis, la Tasmanie, le sud du Royaume-Uni entre autres, autant de secteurs où la production est d’ailleurs déjà en place et ne demande qu’à se développer. « … Nous estimons qu’il existe un risque substantiel d’inadaptation (allant de modéré à élevé) pour 49 à 70 % des régions viticoles existantes, en fonction du degré de réchauffement de la planète. Dans le même temps, 11 à 25 % des régions viticoles existantes pourraient voir leur production augmenter avec la hausse des températures » précisent les chercheurs. En Europe, « la surface appropriée des régions viticoles traditionnelles devrait diminuer de 20 à 70 % d’ici la fin du siècle, en fonction de la gravité du scénario de réchauffement. » Alors, si l’affaire a intéressé les médias, ils oublient souvent une dimension. C’est qu’on ne va pas forcément passer que d’un point A à un point B. Il y a probablement aussi un point C. Et les bénéfices du changement ne seront peut-être que passagers (sujet sur lequel nous nous étions penchés dans un thread sur Twitter il y a une éternité sur injonction amicale de Bertrand Valiorgue).

Alors oui, le changement climatique peut être, par certains aspects, plus favorable aux cultures. Avec plus de chaleur et plus de CO2, cela peut favoriser la photosynthèse et donc augmenter les rendements des végétaux. C’est mathématico-biologique mais ça marche mieux sur certaines cultures, blé, riz, que sur d’autres, maïs et canne à sucre… Parce que le métabolisme des plantes est différent. L’idée n’est pas vraiment nouvelle et dans certains pays, on se réjouissait de cette bonne nouvelle comme au Danemark. Certains esprits rapides lorgnent en outre depuis longtemps sur ces grands espaces aujourd’hui inutilisables qui restent à conquérir, le grand nord canadien ou la toundra russe débarrassés de leur glace… Il y a par exemple cette étude Sibérie 2080. En projetant de nouvelles conditions climatiques liées aux évolutions en cours, les chercheurs ont montré que 50 à 80 % de la surface sibérienne pourraient bientôt être propices à l’agriculture. En Russie, le potentiel est très important… Au Canada, ce sont 4 millions d’hectares qui pourraient être accessibles à l’agriculture et c’est toute l’agriculture canadienne qui phosphore sur l’idée de basculer du blé vers le maïs.

Retour de flammes

Mais venons-en au revers de la médaille, une question de frontières : jusqu’où aller ? Bonne question que celle de la « climate driven agriculture frontier ». Car mettre en culture le grand nord canadien ou la Sibérie reviendrait à relâcher dans l’atmosphère des millions de tonnes de gaz à effets de serre actuellement emprisonnés dans les sols gelés… C’est même, pour l’hémisphère nord, l’équivalent de la production des États-Unis pendant un siècle… Une étude du début de la décennie a tenté de modéliser l’impact de ces migrations de cultures en analysant plusieurs facteurs : la disponibilité en eau, la biodiversité et le carbone. Cette zone « frontière » est estimée par les chercheurs à 30 % des surfaces agricoles actuelles. Soit environ 15 millions de kilomètres carrés. Et les chercheurs concluent que si opportunités il y a à développer de l’agriculture dans ces zones, les risques d’atteintes à l’environnement et à la vie sauvage puis aux populations, sont aussi très importants…

On sait aussi que les projections sont faites « dans l’absolu », et que les gains en rendements ici ou là peuvent être balayés d’un coup par l’instabilité de la météo. Il y a également des risques avec les « mouvements » des précipitations dans l’année, des décalages de saisons pouvant être préjudiciables aux cultures (plus de pluies au printemps, moins en été…) qui vont venir entamer le potentiel des plantes ou rendre l’irrigation indispensable. Sans oublier la concentration en CO2 et sa limite. 550 ou 600 ppm (421 en décembre dernier) pourraient « bloquer » les plantes. Au taux de progression de 2016 (+ 3 ppm/an), cette saturation serait atteinte avant la fin du siècle. En Europe en tout cas, les bénéfices seront vite gommés par les pertes, 16 à 30 % de la valeur produite et à l’échelle de la planète, un quart des récoltes mondiales est aujourd’hui mis en danger par le changement climatique. Un quart. Moralité, ne tardez pas à goûter le sparkling du Kent, les vignobles anglais produiront peut-être des vins doux à la fin du siècle. Cheers.

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